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Un café sur le pas de ma porte

Je l’ai prévenu. Ce n’est parce qu’il y a une porte que c’est une maison. Autrement dit, ce n’est pas la porte qui fait la maison.

Bon.

Il n’a rien compris. Le lendemain, il a installé une porte bleue sur son terrain en pente. Un terrain dont personne ne voulait en raison justement de ce dénivelé qui rendait toute construction impossible. Et ce, en dépit d’une vue sur la vallée à couper le souffle.

Son rêve était de boire un café et de fumer une cigarette sur le pas de sa porte. Rêve qu’il a réalisé aussitôt la porte posée.

Je l’ai regardé en souriant. C’est moi qui n’avais pas compris.

Il a levé la main dans ma direction. Je me suis approché.

– Hé, voisin ! Viens partager une tasse de café avec moi ! m’a-t-il proposé.

J’ai accepté volontiers.

Et nous avons attendu que nos tasses refroidissent en contemplant la vallée. Un peu plus bas, la chapelle St Antoine dressait son petit clocher, telle une charmante photo ornant une carte postale de Haute Savoie.

En cette saison, les jours rétrécissaient à vue d’œil et le froid du soir tombait d’un coup.

Il avait neigé toute cette nuit là. Et quand il est revenu le lendemain, un thermos de café dans une main et ses cigarettes dans l’autre, son visage s’est assombri quand il a aperçu la grande quantité de neige qui avait recouvert sa porte.

Je l’ai appelé. Il a levé la tête. Avec un grand geste du bras, je lui ai signifié de me rejoindre. Sur le pas de ma porte, la vue est moins spectaculaire, mais, bien ensoleillée, on peut s’y assoir toute la journée sans avoir les fesses trempées.

Il s’est assis et a sourit.

Des boucles grisonnantes dépassaient de son bonnet en laine et de petites rides pointaient des coins de ses yeux. Il m’a proposé une cigarette que j’ai acceptée.Merci pour votre accueil. Je viens d’en bas à pied et je n’avais pas vu qu’il avait tant neigé.

Vous faites quoi en bas ?

– Je viens d’enterrer ma mère.

Je le regarde plus attentivement. Sa mère ? Il semblait avoir 70 ans au moins.

Je pointe le menton vers la porte un peu plus loin.

– C’est un bout de terrain que mon père a gagné un jour en rendant service à un fermier d’en bas. On sait qu’on ne peut rien en faire mais quand on habite au fond de la vallée, c’est toujours un luxe de posséder un terrain dans les hauteurs. Et on n’a jamais voulu s’en séparer. Ils viennent de commencer les travaux d’agrandissement de la nationale. Ils ont rasé la maison où on habitait quand on était gosses. J’ai récupéré la porte d’entrée et je l’ai monté. C’est comme si j’avais déplacé notre maison.

Nous finissons nos cigarettes et je l’invite à se lever.

– Venez ! je lui propose.

J’attrape deux chaises et nous allons nous assoir devant sa porte.

– On est bien devant chez vous, je constate avec joie.

Il verse deux tasses de café.

– J’ai jamais habité dans un aussi beau coin.

Et on s’est marré.

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