Portrait d’un écrivain médecin- première partie

Un parcours atypique?

Je ne sais pas vraiment. Quelqu’un a-t-il vraiment un parcours typique? Les études de médecine sont très longues, dix ans environ. Vous commencez à 18 ans, vous en sortez vers 28 ans.

Comment voulez-vous que le jeune homme que j’étais à 18 ans – idéaliste, naïf, tout feu tout flamme – soit le même que l’homme de 28 ans? Après des années à l’hôpital? Des centaines de nuits de gardes? Après avoir côtoyer la mort et la maladie pendant 10 ans? Après des moments de stress intenses? Des moments de joies formidables?

Forcément, tout le monde change. Certains bifurquent, d’autres se révèlent, d’autres encore se cherchent. Les parcours sont tous variés et riches.

Tous sont assez atypiques.

Ce qui est atypique dans mon parcours pourrait être la recherche permanente de raconter des histoires. Par le cinéma surtout. Pendant toutes mes années d’étude, j’ai eu une véritable passion pour le cinéma. Pendant mes premières années, j’allais au cinéma plusieurs fois par semaine (à Strasbourg, avec la carte jeune, la séance de 18h était à 18 francs – soit 2.7 euros). Puis j’ai écris des scénario. Puis, à la place de mon service militaire en hôpital militaire, j’ai effectué mon objection de conscience dans une association de vidéo où j’ai réalisé 2 courts métrages : Faut pas pousser, en 1994 et Dans le doute, abstiens-toi, en 1995. De magnifiques expériences, riches en rencontres et en aventures !

court métrage FAUT PAS POUSSER, réalisation Matthieu Deshayes 1994
court métrage DANS LE DOUTE, ABSTIENS-TOI, réalisation Matthieu Deshayes 1994

Portrait d’un écrivain médecin- deuxième partie

15 années de médecine générale

Les deux éléments pour lesquels je n’étais pas préparé étaient : faire payer mes prestation d’une part ; me protéger d’autre part.

De la difficulté de faire payer un acte

Faire payer le patient à la fin d’une consultation a été ma première difficulté : quel est le prix de mon travail ?  Fixé à 20 euros au début de mon installation il a atteint 25 euros à la fin. Quelle quantité de travail médical vaut 20 euros ? Du temps ? Et combien : 10 minutes, un quart d’heure ? Une demi-heure ? Est-ce que 20 euros est la valeur du règlement d’un problème ? (mal à la gorge-5 minutes, renouvellement de médicaments-entre 1 et 10 minutes, repérage de signes de surmenage-30 minutes, dépistage systématique de cancer-15 minutes, mise en place d’un prise en charge pour diminution d’autonomie-1h30, problème urgent, malaise, douleur abdominale, essoufflement-30 minutes, etc…)

Comment réagir quand le patient à plusieurs problèmes, ce qui est la majorité des cas : « — vous comprenez docteur, je ne suis pas venu pour rien ! — Je le comprends parfaitement, mais je ne suis pas organisé pour traiter plusieurs problèmes en une seule consultation. » Aucune difficulté, le patient reprend rendez-vous ou au contraire, incompréhension et agressivité.

De plus, pour faire payer un acte, dois-je attendre que le patient soit satisfait de ma prestation ? Ou peu m’importe ?

De la difficulté de me protéger

Je lisais hier un billet d’un auto-entrepreneur qui posait en acte fondateur d’élaborer un système pour se protéger. Sans protection, toute activité auto-entrepreneuriale conduit au burn out.

Je n’ai pas su me protéger. Je n’ai pas voulu non plus, persuadé que le contact direct avec mes patients était la signature de mon authenticité. Oui, bien entendu. Et c’est ce qu’on apprécié toutes les personnes que j’ai pris en charge tout au long de ces 15 belles années. Me livrer directement et entièrement, contact direct et sans barrière.

Jeu passionnant. Jeu dangereux.

Je pense avoir été un bon médecin. Mais j’ai malheureusement perdu plus d’énergie que j’en ai donné. Je ne sais pas trop comment. Les professionnels tout comme mes collègues me mettaient en garde : « — Protège-toi ! ». Je n’ai jamais su comment, je n’ai jamais creusé le principe, j’ai continué comme ça. Je me suis brulé. Fin de l’histoire.

Fin, vraiment ? Non ! Heureusement !

Ma famille, mon entourage, mes amis ont parfaitement compris. L’écriture et les longues promenades dans la nature m’ont permis de reprendre pied. Je suis curieux, optimiste, enthousiaste, dynamique. J’aime les gens, les histoires. J’aime mon métier.

Le burn out – si on n’en sort pas complètement cramé – est la formidable chance de pouvoir dire stop, de se retourner, de comprendre ce qui n’a pas fonctionné et de reprendre un nouveau départ. Un cadeau, assurément. Je suis intimement persuadé que le burn out – si on l’écoute – permet d’éviter la case accident, infarctus, cancer, alcoolisme, dépression grave, suicide.

Les prémices de ce burn out influençait d’ailleurs l’essentiel de mes derniers mois de consultation : je m’étais mis en tête de découvrir ce que chaque symptôme disait de l’état dans lequel se trouvait la personne qui venait me voir : mal au dos, à la cheville, vision trouble, mal à la gorge, à l’estomac, surdité, zona, accident vasculaire, cancer. Je sentais les gens très réceptifs. Mais ma pratique devenait un peu ésotérique. Ne cherchais-je pas déjà dans les autres les signes de ma propre  combustion ?

Portrait d’un écrivain médecin- troisième partie

Les urgences, je t’aime, moi non plus

Retour aux urgences

C’est un choix qui s’est imposé très lentement. J’avoue avoir été tenté de ne plus exercer la médecine. La question s’est posée de manière aiguë au moment du premier confinement. J’étais à la maison, avec les enfants, à organiser tant bien que mal l’école à distance et je voyais mes collègues médecins sombrer. Une grande culpabilité m’agitait en souterrain. Ma place n’est-elle pas auprès d’eux, plutôt que de vivre réfugié chez moi. Mon épouse se rendait à l’hôpital tous les jours. Moi, j’étais paralysé par mes sentiments contraires, cachés derrière la certitude que si nous travaillions tous les deux, la famille n’y résisterait pas.

J’ai écrit sur cette période. Beaucoup. Le journal d’un confinement, toutes mes chroniques sur ce moment si particulier, carnet complet de mes journées auprès des enfants, à lire ou relire sur www.blog.vasraconte.fr.

Revenir aux urgences

Le moment décisif a lieu lors de la fête que nous avons organisée mon épouse et moi pour mes 50 ans, une belle journée dans un domaine des environs, à mille lieues des évènements qui allaient se produire quelques mois plus tard. Nous avions réuni tous nos amis, moment formidable, à la mi-septembre au milieu des oliviers. Nadège et Romain étaient présents. Nous avons parlé des urgences. Nadège m’a confié à quel point tout avait changé et m’a proposé deux choses : venir visiter le nouveau service et un poste à mi-temps.

Je me rappelle l’avoir remercié pour son attention. Cette proposition a cheminé lentement dans mon esprit. Je pense l’avoir rejetée longtemps, avoir lutté contre elle et tenter de l’oublier. À la sortie du confinement, cette proposition avait progressé et j’étais prêt. Je suis allé voir le service fin avril. J’étais conquis.

Il restait pourtant tout à faire : me remettre dans la peau d’un médecin après n’avoir été que papa et époux pendant 13 mois. Comment revenir dans un service aux exigences techniques élevées ? Il n’y a pas mille solutions. Revenir par le travail. Je me suis formé. Au bloc opératoire, surtout, auprès des anesthésistes pour réapprendre les gestes de réanimation, les réflexes, l’utilisation des différents médicaments d’anesthésie, les réglages des respiratoires. Et puis me jeter à l’eau. Le 12 juin 2020. Entre deux vagues de COVID. À la découverte d’une équipe médicale jeune et renouvelée, motivée, dynamique, bienveillante et accueillante et d’une équipe paramédicale nombreuse, attentionnée, soucieuse d’un travail de qualité, enthousiaste et stimulante.

Ma première joie : retrouver le plaisir d’œuvrer ensemble. Les rires, les soutiens, les conseils, les blagues, les situations pittoresques propres aux services des urgences, ne jamais être seul, partager les tourments et les moments drôles, les repas, les sourires. Un lieu de vie chaleureux. Épineux, ardu, complexe, mais vivant et intense.

Les urgences, toujours là pour redémarrer

Un rapide coup d’œil en arrière : lors de mes premières années, j’ai du mal avec la motivation de perséverer dans la voie médicale : mon premier stage d’externe est un stage aux urgences. J’enchaine sur la réanimation, le bloc opératoire et le Samu. Sensations fortes, adrénaline, au plus proche de l’humain, de la vie, de la mort.

Premier stage d’interne en pneumologie, avec des gardes aux urgences. Trop de difficultés, organisation terriblement maltraitante, trop seul, nuits harassantes. Épuisement, dégout.

Après une interruption de mes stages, pour faire de la vidéo, je reprends au SAMU. J’y retrouve un grand plaisir, une grande confiance de la part des équipes. Là encore, je poursuis par la réanimation, une des profondes (trop nombreuses) passions de ma vie. J’hésite à passer le concours d’Internat afin de démarrer un parcours de réanimateur. Motivation insuffisante ? Montagne à gravir trop impressionnante ? Pas la force de tout recommencer ?

Je vais travailler deux ans chez les Sapeurs-Pompiers du Corps de Montpellier. Années magiques. Interventions ultra-techniques, équipes très performantes, des rigolades d’anthologie, une entraide indéfectible.

Et puis les Urgences de l’hôpital de Béziers, saison 1. Cinq années d’oscillation entre continuer et abandonner. Je t’aime, moi non plus. Les gardes d’été sont terribles. Je m’épuise. Je développe un syndrome bizarre, une hémiplégie gauche sans étiologie retrouvée. Une pathologie probablement psychosomatique. Je jette l’éponge quand Marie me lance une nuit, en intervention Smur : « Matthieu, je pense que c’est le moment d’arrêter, tu deviens con. » Absence totale d’empathie, plus une once d’humanité. À bout de souffle.

Et voilà que je reviens encore une fois à la médecine par les Urgences. Saison 2. Mais cette fois, Nadège et Romain ont raison. Tout a changé. La pénibilité du travail s’est considérablement améliorée. Le nombre de médecins de garde, des locaux spacieux, la présence des internes. Les conditions de travail n’ont plus rien à voir avec celles des années 2000. Les gardes restent difficiles, mais parfaitement vivables. Je retrouve le plaisir de prendre en charge des malades avec une équipe soutenante et dynamique, au milieu des rires et des discussions, au milieu des échanges et décisions collégiales. Le travail en équipe comme je l’ai toujours aimé sans que l’insoutenable vienne écrabouiller mes forces et ma joie d’exercer. La jubilation de pratiquer des gestes techniques à nouveau dans des conditions compatibles avec la vie.

Et je n’ai que respect, déférence et une grande admiration pour mes collègues qui ont eu le courage de traverser les années terribles, qui ont relevé le défi de se battre pour un meilleur outil de travail, qui n’ont eu de cesse que l’exigence auprès des institutions d’imposer leurs conditions d’exercice. Il aurait été tellement plus simple pour eux d’abandonner le navire, comme je l’ai fait. Non, ils ont ferraillé et ont suffisamment cru en eux pour reconstruire le service. Un formidable service. Merci à vous tous.