You are currently viewing La femme du docteur

La femme du docteur

J’avais déjà remarqué son scooter bleu.

Plusieurs fois.

Je passais en vélo en rentrant du chantier.

Garé en retrait de la route.

Sous le chêne où on dansait à la Saint Jean.

Au bord de la rivière.

Le scooter bleu de la femme du médecin.

Un jour où il faisait chaud, j’ai posé mon vélo contre le chêne et je me suis approché. J’aime pas trop embêter les gens et j’aime encore moins déranger les femmes. Mais j’avais trop envie de me baigner. J’aurais pu aller plus loin, c’est vrai. Mais j’étais un peu curieux, tout de même.

Était-elle seule ? Accompagnée ? Par qui ?

Elle était seule, allongée sur une couverture, maillot de bain deux pièces à carreaux blanc et rouge.

Je me suis rapidement déshabillé et j’ai plongé dans la rivière. Elle n’a pas fait attention à moi, tant mieux. Alors j’ai nagé, sous l’eau, le plus loin possible. Quand j’ai refait surface, hors d’haleine, elle était entrée dans la rivière et me regardait.

—           Le chantier avance bien ? m’a-t-elle demandé.

Elle me reconnaissait !

—           Euh oui, plutôt, merci.

Trop timide pour poursuivre la conversation, j’ai disparu sous l’eau et j’ai nagé tant que j’ai pu retenir ma respiration, me demandant comment aurait réagi un autre que moi. Sans doute se serait-il approché, tout sourire, sans doute aurait-il continuer à discuter la discussion. Peut-être même auraient-ils nagé ensemble ? Puis il se serait assis à ses côtés, il aurait raconté des anecdotes marrantes, elle aurait ri.

Au lieu de cela, je nageai à m’en bruler les poumons.

Peut-être un autre aurait alors osé le truc le plus fou : lui demander s’il pouvait l’embrasser. J’ai même vu des films où un des personnages — homme ou femme — proposait directement de coucher ensemble. Elle aurait peut-être dit oui, sous le chêne de la Saint Jean. Il aurait posé ses lèvres sur la peau de son ventre, observé les frissons se propager jusqu’à ses cuisses, humidifié de son haleine chaude le tissu à carreau jusqu’à déclencher une ondulation de son bassin, jusqu’à obtenir l’invitation à venir jouer avec sa langue, à l’explorer et la faire frémir, et finalement s’ouvrir et s’offrir totalement à ses caresses, sa bouche, ses lèvres, sa langue et ses doigts. La sentir jouir, les muscles des jambes bandées contre ma nuque, remonter mes mains sur ses seins, regarder la courbe de son cou et de son menton, ses lèvres, le creux de ses reins.

Je n’ai plus d’air, les yeux rougis, le cerveau brouillé.

Les images affluent, mon sexe se tend malgré l’eau froide.

Je désire la femme du médecin depuis la première fois où je l’ai vue. Sur son scooter bleu. Chevelure brume, yeux en amande, teint pâle troublant. Elle s’était arrêtée au chantier à la recherche d’un tailleur de pierre pour restaurer l’entrée de sa propriété. Mon patron m’avait recommandé du menton : — tu veux arrondir ton mois ? J’avais aussitôt accepté et passé quinze jours auprès d’elle, quinze jours à la regarder virevolter dans sa maison.

Peut-être était-ce le moment que j’attendais depuis si longtemps ?

Peut-être que cet autre homme, c’était moi ?

J’ai émergé de la rivière, des aiguilles dans tout le corps.

Sans prendre le temps de retrouver mon souffle, je me suis retourné, prêt à m’avancer et à tenter ma chance.

Elle était partie.

Laisser un commentaire