
La parabole des coccinelles – première partie
1-
Je l’attends depuis 30 minutes. Je commence à me demander si elle sera au rendez-vous. Et au moment où je me prépare à repartir, elle toque à ma vitre.
— Je suis désolée, j’ai cru que je ne pourrais jamais me libérer, me glisse-t-elle avec un sourire désarmant.
— J’ai cru que tu ne viendrais pas, j’ai eu peur !
— T’inquiète !
Elle contourne la voiture et s’assied à mes côtés.
Son parfum, léger et fleuri, envahit l’habitacle. Je me détends.
— Ce connard va avoir ma peau…, laisse-t-elle échapper. Je peux fumer ?
— Si tu m’offres une cigarette, avec plaisir !
La nuit est trop froide pour que nous ouvrions les fenêtres. Tant pis, il faudra que je m’explique sur l’odeur de tabac que porteront mes habits.
— Tu crois qu’on est allé trop loin ? je lui demande.
Elle ne me répond pas.
Édouard, son patron, est la plus grosse enflure de la terre. Jamais à court d’idées plus nuisibles et dévastatrices les unes que les autres. Tous les moyens étant envisageables tant qu’ils rapportent du fric.
Alors j’attends. Que nos cigarettes s’éteignent.
— Tu me montres ? je finis par lui proposer.
Elle saisit son téléphone portable au fond de son sac et l’allume. Je vais enfin savoir ce que préparent ces fumiers. Elle est si inquiète de ce qu’elle s’apprête à me révéler qu’elle pose son téléphone posé sur ses genoux. Je me penche pour suivre les informations sur l’écran.
Je me redresse brutalement sur mon siège. Ce que je viens d’y lire me glace le sang.
— Ils vont projeter ce truc sans rien dire ?
— Ils ne sont pas tenus de l’annoncer.
— Et il n’y a aucun moyen de l’empêcher ?
— Légalement, rien n’est prévu. Aucun cadre. Chacun fait ce qu’il veut.
Nous gardons le silence un moment.
— Pour toi, je vois qu’une solution, conclut-elle.
— Je t’écoute.
— Balance tout à la presse. Ce genre de technologie fait flipper les gens.
OK.
Me voici prévenu.
Je sais ce qu’il me reste à faire. Je déteste ça. Mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas les laisser ruiner toutes ces années de travail.
— Merci. Vraiment, je lui dis.
— C’est parce que c’est toi.
— Ça me touche.
— Et aussi parce que je jouis de planter un couteau dans le dos de ce connard d’Édouard.
Je l’embrasse.
Et elle quitte la voiture.

2-
Il est 23h15 quand Armand se gare. Il conduit depuis 12 heures. Les yeux lourds, il s’endort aussitôt le moteur éteint.
Chloé attend un coup de téléphone de son frère. Et quand la sonnerie retentit, elle cherche un endroit pour s’arrêter. Pas très à l’aise seule la nuit, elle est soulagée de trouver deux voitures stationnées l’une à côté de l’autre. Elle s’immobilise à proximité. Pendant que son frère lui parle, elle remarque une lumière dans la voiture voisine. Malgré elle, elle observe l’homme et la femme qui fument une cigarette, enfermés dans leur bocal. Puis l’homme se penche sur la femme. Étrange.
David n’a pas envie de rentrer chez lui. Il écoute une émission. Il lui manque 10 minutes avant la fin. Il repère des voitures, dont une où l’habitacle est éclairé. Il s’arrête et allume une cigarette. Il regarde l’homme et la femme qui discutent en pleine lumière. Quand l’homme disparaît, il imagine une scène sympathique, l’homme entre les cuisses de la femme, et il n’écoute plus son émission.
Betty et Ronald s’engueulent depuis le début de la soirée. Ils ont diné chez des amis, mais rien n’y fait. Ils se sont provoqués tout au long du repas et maintenant qu’ils se retrouvent tous les deux, leurs reproches et leur mauvaise fois sont au paroxysme. Avant d’en venir aux mains, Betty stoppe la voiture sur le bas côté.
— Qu’est-ce que tu sous-entends exactement quand tu me menaces ? articule-t-elle d’une voix glacée.
— C’est plutôt à toi de m’expliquer ce que tu mijotes !
De la lumière brille dans une voiture voisine et éclaire une femme seule assise côté passager. Au moment où Betty va se jeter au cou de Romuald pour l’étrangler, un homme se redresse.
— Ben mon salop, faut pas de gêner ! remarque Romuald.
Betty, malgré sa colère, éclate de rire.
— En pleine lumière ! ajoute-t-elle.
Édouard arrive à son tour. Très énervé par son téléphone portable qui ne capte pas et le Bluetooth de sa BM qui ne fonctionne pas – putain, au prix où on paie ses saloperies de bagnoles, faut pas déconner – il s’arrête au bord de la route. Il aperçoit une silhouette qui lui fait immédiatement penser à sa récente collaboratrice. Qu’est-ce qu’elle fait seule en pleine nuit ?
Ah, elle n’est pas seule ! Édouard constate la silhouette de l’homme qui s’est redressé. Dans une bagnole, juste sous les bureaux, en lumières allumées ! Il n’imaginait pas une telle spontanéité venant de sa collab ! Il prend une photo de la scène. Il est comme ça, Édouard. Il constitue des dossiers sur tout le monde. On ne sait jamais.
Après un petit moment, elle quitte la voiture et revient vers le bureau.
Édouard la cueille devant la porte de l’immeuble.
— Je vous ramène quelque part ? propose-t-il.
La jeune femme sursaute et s’effondre en reconnaissant son patron. Édouard, affolé, sort et la relève. Il est au fait de produire un certain effet sur les femmes, mais il n’est jamais allé si loin. Intrigué, il la porte dans les bras jusqu’aux bureaux, situés au quatrième étage.
La jeune femme se sent mieux. La présence d’Édouard la dérange profondément. Elle s’approche de la fenêtre pour éviter de croiser son regard et elle ouvre de grands yeux. Ce n’est pas une voiture qu’elle aperçoit garée sur le parking. Mais tout un groupe. Avec celle de Bruno au milieu, toutes lumières allumées. Elle qui s’était crue seule et en sécurité. Qu’avait vu son patron ? Qu’avait-il compris ? Rien de bon, à en juger par la lueur bizarre qui se tapit au fond de ses pupilles.