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Filoche sous la neige

La neige.

Ils avaient tout prévu sauf la neige.

—           Je t’avais bien dit qu’on ne pouvait pas tout prévoir, dit Lucas en se bidonnant.

—           Y a qu’un âne comme toi pour trouver ça drôle ? répond Jean.

—           Ça fait des années que j’ai pas vu de neige, génial ! s’exclame Simon.

Il pose les deux énormes sacs et attrape un volumineux paquet de neige qu’il lance sur Lucas. Lucas esquive habilement et lui envoie une boule qui le touche entre les deux yeux.

—           Mais vous êtes con ou quoi ? hurle Jean. On va se faire choper ! Ramasse tes sacs, on se casse !

Les trois hommes traversent la petite cour au pas de course. La neige tombe à gros flocons.

—           Waouh, vise le dérapage ! s’amuse Lucas.

Et il part dans une longue glissade sur les pavés. Simon l’imite aussitôt et chute lourdement sur les fesses. Ils se marrent comme des baleines.

—           Mais je rêve les mecs, vous avez du fromage dans la tête ! Les flics vont débarquer et vous vous prenez pour des putains de patineuses ! On va tout foirer à cause de vos conneries !

—           Ferme là un peu, rabat-joie ! lui lance Lucas.

—           T’es trop sérieux, tu vas finir avec un cancer de l’estomac.

Un concert de sirène se fait entendre un peu plus loin.

—           Merde, v’là les schmitts, s’affole Jean.

—           La cavalerie débarque ! s’enthousiasme Lucas en mimant le son du clairon.

—           On va les niquer bien profond ! crie Simon en projetant les sacs dans les airs.

Sortis de la cour, les trois hommes cherchent leur fourgon. Garé à peine plus bas, le véhicule est enfoui sous la neige.

—           Frérots, visez toute cette neige qu’il est tombé pendant qu’on était là-dedans ! dit Lucas.

—           Comment on va le dégager ? se désespère Jean.

—           On déneige ? demande Simon.

Une voiture de police arrive en patinant, toute sirène hurlante. Elle fait un grand travers en freinant, décrit une longue embarrée et s’immobilise en vrac contre le fourgon, manquant de percuter Simon. Deux flics en descendent et, leur arme pointée en avant, se dirigent en direction de la banque d’où viennent de jaillir les trois compères.

—           Hey, les gars, vous pouvez pousser votre bagnole, on peut pas passer ! crie Simon.

—           Mais t’es le plus débiles des abrutis ! Qu’est-ce que tu fous ! se décompose Jean.

Les flics ne les calculent pas.

—           Allez, on se tire, ordonne Jean.

—           Comment ? demande Simon. Ils ont défoncé la caisse !

—           En hélicoptère, raille Lucas.

Simon regarde en l’air.

—           À pied crétin ! Comment tu veux faire autrement ? se désespère Jean.

—           À pied, mais c’est sacrément lourd ! râle Simon.

—           T’as qu’à bazarder tes sacs ! s’amuse Lucas.

—           Ne lui donne pas de mauvaises idées, ce gogol serait capable de t’écouter ! lui reproche Jean.

De très nombreuses voitures de police arrivent et viennent s’encastrer dans la première. L’embouteillage est impressionnant. Et pendant que les condés tentent de s’extraire de leurs véhicules sans glisser, les trois complices s’éclipsent discrètement en rasant les murs.

—           On peut dire qu’on se filoche peinard, chantonne Lucas.

—           Les doigts dans le nez ! sifflote Simon.

—           Fermez-là, bande d’imbéciles ! Marchez et taisez-vous !

Ainsi, ils s’éloignent incognito du lieu du braquage, passant tranquillement tous les barrages dressés autour du quartier, faisant fi des postes de contrôle, et se jouant des patrouilles.

La seule trace que laissent les trois hommes est une photo prise par un radar de détection de franchissement de feux tricolores au moment où une Clio noire grille malencontreusement un feu rouge, dérape longuement avant de terminer sa course contre un abri bus, ne manquant Jean que d’un poil.

Simon et Lucas rigolent comme des bananes, au grand dam de Jean qui vient d’échapper par miracle à un fâcheux accident et qui râle ses grands Saints contre le chauffard.

Finalement, gelés, mais saufs, les trois cambrioleurs parviennent à leur planque sans autre incident.

—           On peut dire qu’on doit notre réussite à la neige ! se félicite Lucas en envoyant une boule de neige à Jean.

—           Je dirais même plus, cette neige nous a bien rendu service ! ajoute Simon en noyant Jean sous un énorme tas de neige.

—           La neige nous a aidés contre les flics, c’est certain, mais ne nous a pas protégés de votre bêtise abyssale, répond Jean en se secouant. Vous êtes les acolytes les plus crasseux et les plus stupides de toute la Terre.

—           Et toi le plus vieux des vieux tristes.

—           Allez les gars, champagne ! claironne Lucas en se frottant les mains.

—           Je dirais même plus, les gars. Champagne ! sautille Simon.

—           Pffff, râle Jean.

—           T’es vraiment un sacré râleur ! constate Lucas.

—           Ça t’arrive d’être content, des fois ? demande Simon.

—           Pète un coup, vieille branche !

—           Et quand il pète, il troue son slip !

Et les voici repartis dans de longs éclats de rire pendant que Jean lève les yeux au plafond, abattu et démoralisé.

Source de l’image : https://unsplash.com/photos/V74abnoDea0

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