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Igor le Magnifique

Faut dire que la pente est sacrément rude, rendue glissante par la fine couche de neige tombée la veille

Rapidement, la montée dans la neige, sous les grands arbres clairs, en cette après-midi radieuse, dans l’air pur et glacial, rapidement, donc, la montée est devenue pénible. Aux rires, aux glissades et aux boules de neige, succèdent les lamentations, les râleries et la mauvaise humeur. Bientôt viendront les pleurs. Question de minutes.

Faut dire que la pente est sacrément rude, rendue glissante par la fine couche de neige tombée la veille. Et que les sacs sont lourds.

Mais pas de doute, faut qu’on monte et qu’on passe. Pas le choix. Bien entendu, les enfants ne comprennent pas l’enjeu. Mais je vois le visage tiré de Margaux et je devine ses craintes.

Le soleil descend derrière les arbres, la progression de notre troupe est laborieuse et bientôt, à la fatigue succédera le froid. Pas certain qu’on atteigne le plateau avant la nuit. C’est pourtant ce qu’on avait imaginé, Margaux et moi. J’avais même été plus optimiste qu’elle en pensant déjà attaqué la descente. Quand ça descend, le moral est toujours meilleur. Parce que coincé avec les petits dans la pente avec la nuit et le froid…

J’essaie de ne pas trop gamberger ni calculer et je m’occupe en motivant les enfants au mieux, racontant des histoires – elles sont nulles tes histoires… -, chantant des chansons – elles sont nases tes chanson… -, en racontant des blagues – elle sont même pas marrantes…, rien n’y fait. Nous faisons que ralentir et je vois que Margaux cède à l’idée de passer la nuit dans la forêt.

– Au moins, on ne manquerai pas de bois ! je tente, maladroitement.

Margaux n’a pas envie de rire. Elle resserre son manteau, ajuste son écharpe, se redresse et annonce :Les enfants, on organise notre campement !

– Chouette, on va faire un grand feu ! je poursuis.

Les enfants ne croient pas une seconde à notre fausse joie. Mais ils ont le mérite de ne pas le montrer.

Avec leur aide, je rassemble une grande quantité de bois et nous allumons un feu magnifique. La lueur doit se repérer à des kilomètres à la ronde mais tant pis.

Après notre repas frugal, nous installons les couchages, matelas sommaires de feuilles et de fougères sèches, autour du feu. Et tandis que chacun se prépare, je raconte une dernière histoire, celle qui rend les enfants courageux, et ils s’endorment. Je prends mon poste de guetteur autour du feu, entretenant les flammes, gage de chaleur et de sécurité.

Demain est un autre jour.

Margaux me relève à la moitié de la nuit. Je reste un peu avec elle, puis me lève pour m’allonger à sa place toute chaude.

Je n’ai pas le temps de m’endormir. Un coup de vent brutal soulève la neige, secoue les arbres et couche les flammes.

Le vent charrie avec lui un air gelé qui me glace les os. Après une courte accalmie et un silence étrange, le fracas reprend mais sans plus cesser. La neige se remet à tomber, la température baisse et le vent violent disperse nos affaires.

Recroquevillés les uns contre les autres, serrés autour du feu qui ne nous réchauffe plus, nous attendons que la tempête se calme. Elle ne cesse pas. Bien au contraire.

Le jour nous trouve ensevelis sous une congère, immobiles, gelés.

Et quand un homme à la corpulence d’un bœuf passe près de notre congère (seul un homme de cet acabit peut se trouver dans des contrées si hostiles pour le plaisir) lors d’une de ses promenades solitaires (le pauvre homme est obligé de vivre reclus dans ces montagnes inhospitalières) il ne retrouve de notre petite famille que le petit Igor dont le corps est encore vivant. Il le saisit délicatement, le met au chaud dans sa veste fourrée de caribou et le ramène chez lui. Et, bien loin des velléités d’ogre qu’on lui prête dans la vallée, il le veille, lui donne à manger de la soupe de racine délicieuse et chaude et de la purée de tubercules sauvage et parfumée et de la tisane aux milles arômes délicieuses.

Igor s’est réchauffé et, au contact de cet homme taureaux, a appris à connaître la nature, la vraie nature, les arbres, les plantes, les animaux et les étoiles. Il en a aussi beaucoup appris sur les hommes que son père et sa mère fuyaient.

Et quand, devenu adulte, Igor s’est senti prêt à descendre retrouver la société, c’est pour prendre la tête d’un solide mouvement de rébellion et renverser la dictature qui a décimé sa famille et tant d’autre. Voici comment est née la légende d’Igor le Magnifique, celui qui a libéré son pays des tyrans et a régné des décennies pour que la population vive librement.

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