Massimo hésite. Quatre scooters sont garés devant le mur. C’est la facilité. Tout le monde sait qu’on ne touche pas aux bécanes qui stationnent à cet endroit. Mais il sait aussi que Dino ne le supporte pas. Il ne veut rien devant son mur.
Alors il gare son scooter plus bas dans la rue. Et marche le long du mur. Il reconnaît de scoot de Giulia.
La chaleur est écrasante. Il sonne, s’annonce et pousse la porte de l’immense jardin qui s’ouvre après le mur. La résidence de Dino, le parrain de la mafia locale, est la plus luxueuse de l’ile et l’ombre des arbustes qui bordent les allées du jardin est accueillante. Il s’essuie le front et avance.
Deux filles aux longs cheveux s’amusent sur un banc. Guilia, la plus grande agite les doigts en l’apercevant.Dino t’attend, minaude-t-elle.
– Il est comment ? je demande, inquiet.
Elle indique comme-ci, comme-ça en remuant la main.
Massimo inspire profondément et continue dans l’allée d’un pas faussement assuré. Pas question de montrer aux filles qu’il tremble de trouille.
Entouré de sa cour, une dizaine de types se tous âges, chapeaux, lunettes de soleil et clope, le vieux Dino rayonne comme une boule de pétanque au milieu des morceaux de rap, des rires et des discussions.
Qu’est-ce que peut bien lui vouloir le Padre ? Lui, petite main qui dessine des affiches chez un vieil imprimeur du port. Un moins que rien.
Dino demande le silence dès qu’il aperçoit le jeune garçon.
– Hey, fils ! Alors ? demande-t-il en ouvrant les bras.
Massimo fixe le sol en attendant la sentence.
– Fils, lève les yeux ! J’ai une question pour toi. Répond franchement. Comment trouves-tu notre île ?
Massimo réfléchit rapidement. Il n’a pas le droit de se tromper. Il sourit et se lance :
– Notre île est sale. Honteusement sale.
Il ne prend pas trop de risque, la saleté des rues est sujet de plaintes incessantes. Et tout le monde dit que Dino, après un bang trop fort, a viré écolo.
– Exactement, fils, tu as tout compris. Figure-toi que j’ai décidé de lutter contre ce fléau. Et c’est là que tu entres en jeu. Je veux que tu dessines mon visage sur mon mur. Que tout le monde le voit. Que tout le monde comprenne qu’à partir de maintenant, j’observe chacun des habitants de cette île et que je n’accepterais plus aucune incivilité. Qu’est-ce que t’en dis ?
Massimo ouvre de grands yeux incrédules. Lui, peindre le portrait de Dino sur son mur ?
– Ça me plairait carrément, s’empresse-t-il de répondre.
Il sait qu’il ne peut refuser. Le vieux l’a choisi. Il n’a qu’à s’exécuter.
Trois jours plus tard, Dino inaugure sa campagne propreté en grande pompe et découvre le travail de Massimo. Le vieux s’étrangle en voyant que le jeune garçon n’a pas maquillé ses larges oreilles décollées.
– C’est une insulte, marmonne-t-il entre ses dents. Ce morveux va me le payer !
Heureusement pour Massimo, le public qui se masse nombreux applaudit chaleureusement. Et le maire, s’avançant timidement, loue le très beau portrait du jeune ainsi que le projet visionnaire de Dino. Dino le Sage. L’œil de Dino qui voit tout. L’oreille de Dino qui entend tout.
– Ce gamin est un vrai artiste, lui glisse Elena, son épouse.
Et elle s’y connaît.
Alors Dino se détend, applaudit lui aussi et félicite Massimo.
– Bravo Petit. Tu ne t’es pas dégonflé. Et c’est une qualité que j’apprécie particulièrement.
Massimo a une dernière touche à ajouter. En grosses lettres noires, il inscrit à côté du Padre : « L’isola pulita ». L´île propre.
(sur image proposée par mon ami Yann Zolet, instagram : @yann_zolet_et_gustave)