
Le soleil termine sa course contre le belvédère et le ciel s’illumine
Le soleil termine sa course contre le belvédère et le ciel s’illumine. C’est l’heure où les arômes de la ville se répandent dans l’air. Autour de moi les gens se hâtent lentement pour rentrer chez eux, et profitent de la douceur du soir pour effectuer leurs derniers achats. Je ferme les yeux et j’écoute la ville qui bourdonne. Je pense à notre première promenade. Ton sourire me laissait alors imaginer que tout était possible. J’y croyais et j’étais heureuse.
journal de Sahmira
Le 4×4 Toyota s’immobilise dans la poussière en cahotant. Mounir reste au volant, prêt à partir si les événements se gâtent. Je descends de voiture et je m’avance de quelques pas. Le soir tombe. La chaleur est encore forte. Les odeurs qui montent à moi sont acres et sèches.
Je ferme les yeux et j’écoute la ville. Seuls le murmure du vent dans les ruines, et le bruit des moteurs de camion au loin me parviennent. La foule que ma sœur Sahmira percevait au même endroit a disparu.
J’ouvre les yeux et les vestiges du belvédère m’éblouissent. La poussière se soulève en nappes irritantes. Les lieux ont perdu leur charme romantique. La guerre a tout emporté.
– Sahib !
Mounir m’appelle. Un groupe de jeunes hommes armés de kalachnikov s’approchent. Il est temps de partir. Sans me précipiter, je reprends place dans le Toyota et Mounir s’éloigne prudemment.
Mon conducteur ne saisit pas ce que je suis venu chercher ici. À part de gros ennuis.
Il me dépose derrière la grande maison en pierres jaunies qui surplombe la rivière, en périphérie de la ville. J’entre par une porte dérobée et retrouve Asma dans la vaste cuisine. La vieille femme me sourit. Elle non plus ne comprend pas la raison de ma présence en ces lieux désolés. Elle me propose du thé. J’accepte et je la regarde servir le liquide ambré et brulant. Puis je l’observe pendant que ma tasse refroidit.
Elle rit, gênée, mais je sens que je ne la dérange nullement. Nous apprenons à nous connaitre et sa surprise de voir un homme s’attarder à la cuisine s’estompe. Malgré la barrière infranchissable de la langue, nous passons de longs moments ensemble.
Je lui suis très reconnaissante de m’héberger, sachant les risques qu’elle prend à accueillir un étranger. Mon thé terminé, et ne souhaitant pas mettre mal à l’aise ma logeuse, je me lève et dépose un sac en plastique contenant de grosses dattes sur la table. Puis je rejoins ma chambre à l’étage. Une brise parfumée entre par la fenêtre et fait tinter les rideaux tandis que les derniers rayons du soleil dessinent des traits au plafond.
Je repense aux vestiges de la ville. La guerre civile a totalement détruit le joyau qu’était devenue cette cité à la croisée du fleuve, du désert et de la route qui descend des montagnes jusqu’à la mer.
Ma sœur Sahmira a disparu elle aussi dans l’effondrement de la cité. Et c’est bien elle que je suis venu chercher ici. Ce qu’elle y a vécu, cet homme qu’elle y a rencontré et dont elle parle dans le cahier que j’ai découvert lors de mon récent passage chez les parents à Paris. J’ai entrepris le déplacement afin d’arpenter les traces de sa vie dans ce qu’elle nomme ‘son paradis’, tenter de marcher dans ses pas, de deviner ses activités et d’élucider le mystère de ses derniers jours. Je suis conscient du danger encouru par la présence d’un étranger dans cette zone non sécurisée. Mais je suis fermement décidé à ne pas en partir sans avoir compris pourquoi et comment elle avait disparu. Je ne quitterai pas le théâtre de sa vie sans réponse.